Elisa
Trente ans plus tôt
Elisa fait les cent pas dans la chambre de la maternité. Elle ressemble à un lion en cage. Elle va accoucher bientôt mais le travail est long. Elle attend des jumeaux, et ceux-ci confortablement installés, bien au chaud dans son ventre, refusent d’entamer la descente dans ce tunnel obscur, vers la porte de sortie, ouvrant sur la lumière du jour.
Elle est seule, car le géniteur a préféré prendre la « poudre d’escampette », quand elle lui a annoncé sa grossesse.
Pour elle, pas question de se faire avorter !
Elle a pris la décision de garder les enfants et de les élever en mère célibataire.
Elle est courageuse, possédant de l’énergie à revendre.
Le challenge ne lui fait pas peur.
Elle vaincra sa peur de ne pas y arriver, et se battra, de toutes ses forces, pour surmonter les obstacles à venir.
Elle a toujours été seule, depuis son enfance, mal-aimée par ses parents et abandonnée par eux, suite à leur divorce. Sa mère était retournée vivre dans le giron maternel et son père, ne pouvant s’en occuper seul, avait tracé sa route vers d’autres horizons, où une enfant n’était pas la bienvenue.
L’Aide Sociale à l’enfance l’avait placée en foyer, avant de l’envoyer dans différentes familles d’accueil, où elle avait été ballotée à droite et à gauche, pendant toute sa jeunesse. Elle n’avait jamais trouvé un semblant d’amour auprès de ses parents nourriciers éphémères. De ce fait, elle a vite compris qu’elle n’était qu’un boulet qu’on traînait par obligation mais qu’elle n’était désirée nulle part.
C’est ce sentiment d’abandon, et ce manque d’amour, qui avaient forgé son caractère, lui apprenant, à toujours aller au-delà de ses limites, pour se faire accepter dans une société l’ayant rejetée dès sa naissance.
Elle avait la chance d’être dotée d’une grande faculté d’adaptation, outre ses capacités intellectuelles, lui permettant d’assimiler et d’enregistrer très vite tout ce qu’elle apprenait. Sa mémoire, étant pour elle un atout, elle avait rebondi d’emploi en emploi, pour évoluer chaque fois vers un job plus gratifiant .
Tout en caressant son ventre disproportionné, elle se dit que de toute façon, elle va s’en sortir, et qu’elle arrivera à nourrir sa famille.
Perdue dans ses pensées, elle n’a pas entendu frapper à la porte. Elle sursaute quand une voix, celle de la sage-femme, vient lui dire de s’étendre pour examiner la dilatation de son col.
L’examen étant concluant, elle l’informe qu’il est l’heure de descendre en salle de travail, car ses jumeaux ne vont pas tarder à pointer le bout de leur nez.
Elle sourit presque béatement, en se disant que bientôt, elle aura sa propre petite famille et qu’elle pourra enfin aimer de tout son cœur et de toute son âme, ses fils à elle, ses bébés chéris et désirés, ses petits Landry et Nathan.