RENCONTRES ANCESTRALES OU VOYAGES INTEMPORELS (TOME 1 CHAPITRE 5)

RENCONTRES ANCESTRALES OU VOYAGES INTEMPORELS (CHAPITRE 5)

CHAPITRE 5

PERRINE EN 1891

Quelques semaines se sont écoulées depuis le dernier voyage de Viviane. Est-ce la fatigue liée à sa constitution ou tout simplement, une forme de fatigue émotionnelle mais elle s’est retrouvée dans l’incapacité d’entreprendre un nouveau voyage spatio-temporel.

Pourtant elle avait déjà choisi sa prochaine destination, qui lui avait été indirectement suggérée par la médiocrité du niveau scolaire des bacheliers en 2022, tant sur leur niveau de « français » que sur celui de la philosophie. Elle a découvert avec stupeur des copies des épreuves de ces deux matières lors du bac en juin 2022, qui l’ont effarée, notamment une copie partagée publiquement par un professeur correcteur où l’élève concernée faisait une faute par mot et dont la réflexion philosophique était à peine d’un niveau CM1 ou CM2.

Incroyable à 18 ans !

Elle n’a pu s’empêcher de comparer avec le niveau d’instruction requis pour le certificat d’études que les écoliers d’autrefois passaient entre 12 et 14 ans. Elle a repensé à son père, premier du canton, à sa grand-mère paternelle, deuxième du canton et ses yeux se sont portés sur le certificat d’études de son arrière-grand-mère paternelle, accroché au mur de son bureau, (le diplôme, pas l’arrière-grand-mère), ledit diplôme obtenu en juin 1891 alors qu’elle n’avait que 11 ans ½ ans.

Elle s’est ainsi souvenue d’un cahier de sa bisaïeule datant de 1893, ce qui prouve par ailleurs que celle-ci a continué sa scolarité, malgré l’obtention du certificat de fin d’études deux ans plus tôt, un cahier manuscrit où la qualité du niveau d’instruction du 19^ème siècle était largement démontrée en comparaison de celui du 21^ème siècle, en France évidemment, car apparemment les autres pays européens seraient plus performants dans le domaine de l’enseignement.

De ce fait, elle s’est promis de partir en 1891 dès qu’elle se sentirait d’attaque pour vivre cette nouvelle aventure.

Le moment est arrivé enfin.

Comme chaque fois, elle récite la formule magique :

« Mon beau miroir du temps qui passe,

Avant que ma vie ne trépasse,

Guide-moi à travers les âges,

Par la volonté du vieux mage. ».

En quelques secondes, elle se retrouve au printemps 1891, soit plus de 68 ans avant sa naissance, dans un univers familier puisqu’il s’agit de son propre village natal mais si différent en même temps, puisqu’aucune route n’est goudronnée, il n’y a pas de voiture, seulement des charrettes ou carrioles attelées à des chevaux ou des bœufs.

Comme cela est étrange de partir à la rencontre d’une enfant de 12 ans, et d’inverser ainsi les rôles.

La France de 1891 est sous la présidence de Sadi Carnot. En effet depuis 1887, il est le président des français.

Malheureusement il sera assassiné le 24 juin 1894 à Lyon par un anarchiste italien Santo Caserio.

A la crise économique et sociale qui touche la France depuis le début des années 1880, avec son cortège de faillites, de chômage et surtout de désillusions ouvrières, la république modérée, dite « opportuniste », n'oppose que son conservatisme social et son instabilité chronique. Discrédité par les scandales le régime parlementaire prête le flanc aux attaques conjuguées de la droite monarchiste, des nationalistes ligueurs et du mouvement ouvrier.

Les idées anarchistes se propagent insidieusement en France et en 1891, commencera le périple meurtrier de l’anarchiste sans doute le plus connu, dont le seul nom faisait trembler toute la nation, le sanglant Ravachol, natif de Saint Chamond dans la Loire. Il fut même composé une chanson que les gens fredonnaient sur l’air de la Carmagnole.

Effectivement c’est en 1891, après avoir été mis une nouvelle fois à la porte, que ce révolté du système sociétal d’alors, décide de vivre véritablement en marge d’un monde qu’il hait et commence sa cavale meurtrière, dans la Loire, en dépouillant et tuant des victimes innocentes, poussant l’indécence à piller une tombe pour récupérer les bijoux de la défunte. Recherché, il s'enfuit à Barcelone, où il est accueilli par l'anarchiste Paul Bernard, condamné par contumace. Il y apprend à fabriquer des bombes, ce qui va lui être très utile dans sa nouvelle carrière de justicier. Revenu à Paris, c'est désormais au nom de la cause anarchiste qu'il va en effet « s'exprimer ». Le 11 mars 1892, il fait sauter un immeuble situé au 136 boulevard Saint-Germain. Enfin arrêté il sera jugé deux fois, d’abord à Paris puis à Montbrison dans la Loire où il sera condamné à mort et exécuté le 11 juillet 1892

Pour les français, l’année commence par un froid glacial qui dure depuis 2 mois. Cette vague de froid est caractérisée par sa longueur (du 26 novembre 1890 au 20 janvier 1891) et par la quasi absence de neige. Ceci a pour conséquence de détruire une grande partie des céréales.

Il gèle à « pierre fendre » en ce mois de janvier. Il fait tellement froid que le matin, on retrouve des pauvres gens, morts dans leur sommeil, n’ayant pas eu d’abri pour se protéger de la morsure hivernale. Le 18 janvier, il fait moins 16,8 degrés à Lyon et dans les villages de campagnes aux alentours, la température doit sans doute être encore plus basse.

Malheureusement le dégel qui se fait sentir à partir du 21 janvier, provoque d’autres dégâts puisque les ruptures de la glace ont parfois des conséquences dramatiques.

L’année s’écoule inexorablement, les mois défilent avec leurs lots d’évènements divers.

Le 20 avril 1891 Thomas Edison présente au public et à la presse le kinétographe, ancêtre de la caméra, et le kinétoscope, ancêtre de la visionneuse. Cette invention par un américain est certainement parvenue en France, et a eu une répercussion sur le destin des frères Lumière à Lyon. En effet trois ans plus tard en 1894, Antoine Lumière, le père d'Auguste et de Louis, assiste à Paris à une démonstration du kinétoscope et également, à deux pas de là, à une projection d'Émile Reynaud dans son Théâtre optique. A L’époque personne ne pouvait sans doute imaginer que plus tard, naîtraient le cinématographe devenu cinéma et la télévision qui distrairaient les foyers de France par les émissions quotidiennes.

Le 1er mai 1891, eut lieu la fusillade de Fourmies. C’est un événement qui s'est déroulé le à Fourmies (Nord). Ce jour-là, la troupe met fin dans le sang à une manifestation qui se voulait festive pour revendiquer la journée de huit heures. Le bilan est de neuf morts, dont deux enfants, et de 35 blessés. Les acquis que certains veulent contester en 2022, l’ont été au prix du sang des ouvriers solidaires et courageux, des ouvriers qui étaient nos aînés, nos aïeux et pour cela, ils méritent que leurs combats ne soient ni oubliés ni foulés aux pieds par la nouvelle génération assez égoïste pour ne concevoir plus que l’individualisme au lieu du collectivisme.

D’autres grèves auront lieu en juin 1891 dont celle des transports et il arrive de voir des omnibus se faire prendre d’assaut.

Entre le 31 juillet et le 1^er août 1891, Émile Levassor et Louise Cayrol réussissent un voyage en automobile de Paris à Étretat. Panhard & Levassor fabriquent des automobiles en série dès novembre 1891.

Le mercredi 30 septembre 1891, le suicide du Général Boulanger sur la tombe de sa maîtresse alimentera les discussions dans plusieurs demeures françaises. Celui-ci vient souvent fleurir la tombe de sa maîtresse, Marguerite, emportée par la phtisie le 16 juillet. Sa mort a laissé le général anéanti, incapable de lui survivre, ce qui le conduira au geste fatal de se tuer avec son révolver, afin de rejoindre son aimée. Clemenceau ne perdra pas l’occasion de dire une cruelle oraison funèbre à l'égard d'un ancien ministre de la Guerre : « Il est mort comme il a vécu: en sous-lieutenant.» Le « Tigre » a la « dent dure » car il est un ancien camarade du Général Boulanger, au lycée de Nantes. En souvenirs de leurs études communes, c’est lui qui a obtenu en 1886 sa nomination au ministère, lui permettant ainsi de faire ses premiers pas en politique. Mais cela, c'était avant que la machine Boulanger ne devienne incontrôlable.

En 1891, Arthur Rimbaud le poète, n’écrit plus de poésies et désormais il vit à l’étranger. Mais cette année-là il souffre de douleurs au genou et se fait rapatrier en France. A Marseille, les médecins découvrent une tumeur au genou. Rimbaud doit immédiatement se faire amputer de la jambe droite. La maladie progresse et Rimbaud meurt le 10 novembre 1891 à Marseille à l'âge de 37 ans. Il est enterré au cimetière de Charleville-Mézières.

Novembre 1891 verra aussi la création de la Fédération française des sociétés féministes. Eugénie Potonié-Pierre rassemble huit groupes féministes à Paris pour former la Fédération française des sociétés féministes. L’«Union universelle des femmes» rejoint par la suite la fédération de même que la Société de l'allaitement maternel. La Fédération française des sociétés féministes est créée pour rassembler des associations qui par ailleurs pouvaient avoir des opinions et des moyens d'action différents. C'est la première fois que le terme « féministe » est utilisé dans le nom d'une association. Les personnes appartenant à ce mouvement considèrent que la présence des hommes doit être acceptée alors que de nombreux autres groupes étaient exclusivement féminins.

L’année va se terminer pour des millions de français dans le souci quotidien d’avoir du travail pour survivre dans une société si dure pour ceux qui ne sont pas issus d’un milieu aisé. Manger à sa faim est la priorité du peuple que celui-ci soit issu du milieu agricole ou ouvrier. Les familles de laboureurs (propriétaires de leurs terres) ont souvent beaucoup d’enfants et un seul est l’héritier universel des biens des parents. Le reste de la fratrie doit se débrouiller pour s’en sortir. Les filles épousent si possible un beau parti (paysan avec des terres) et les hommes se marient avec des filles qui ont une belle dot ou des terres s’il n’y a pas de fils. Les autres partent louer leurs bras dans les champs. L’industrialisation du 19ème siècle est une opportunité pour des milliers d’hommes qui partent travailler dans des usines contre un salaire fixe.

Viviane se dit que les conditions de vie en 2022, sont quand même bien meilleures pour tout le monde, grâce aux aides sociales, conséquences de la solidarité nationale, ce qui permet aux plus démunis de pouvoir survivre et se soigner gratuitement, ce qui n’était malheureusement pas le cas en 1891.

Elle émerge de ses pensées et part à la rencontre de la petite Perrine, qui est sagement assise, en train de faire ses devoirs.

Elle est l’avant-dernière d’une fratrie de sept enfants qui s’échelonnent de 1865 à 1884. Perrine, quant à elle est née en 1879. Elle aura 12 ans fin novembre 1891 mais pour l’instant on est en avril et elle prépare son certificat d’études prévu pour le 18 juin, avec beaucoup de sérieux. Elle est seule dans la pièce principale de la ferme. Ses parents, son frère et ses sœurs ne sont pas présents. Sont-ils aux champs ou ailleurs, cela n’a pas d’importance.

Viviane l’observe avec attention.

C’est une jolie petite fille, habillée et coiffée sobrement. Son maintien correspond aux normes sociétales de l’époque, qui imposent une stricte éducation aux jeunes filles qui doivent avoir une tenue et un comportement irréprochable, afin de trouver un époux digne de leurs familles.

Viviane repense à la photo de groupe prise sans doute vers 1896, (datation par rapport à l’âge de la plus jeune née en 1884), représentant toute la famille au grand complet. Leur posture indique la position des uns et des autres dans la hiérarchie familiale et la pose des filles de la maison, assises leurs mains posées sagement sur leurs robes, des robes à l’aspect sobre mais de bon goût. C’était une famille de laboureurs (propriétaires fonciers), mais tant la photographie d’époque que les vêtements, indiquent sans doute une certaine aisance sociale, contrairement à ceux qui louaient leurs bras, allant de fermes en fermes, pour trouver du travail et manger à leur faim. Certaines images d’époque les montrent parfois vêtus de haillons.

Pour une fois c’est plutôt Viviane qui est anxieuse à l’idée de cette rencontre hors norme, puisque son ancêtre n’a même pas 12 ans et qu’elle-même aura bientôt 63 ans. Elles sont sagittaires toutes les deux, ce qui devrait peut-être faciliter l’approche. En effet, même si Viviane ne croit absolument pas aux prédictions astrologiques, elle s’est rendue compte de la similitude de points communs entre personnes nées sous le même signe du zodiaque, sans doute la position des planètes et des astres, au moment de la naissance de tout individu. La lune et les astres influencent la végétation, les cultures, les marées donc il n'est pas illogique de penser que cela influence aussi la personnalité des humains (et pourquoi pas des animaux aussi) nés pendant la période concernée.

Perrine se sentant observée, relève la tête, et l’effroi se lit dans son regard apeuré, car elle n’a pas entendu la porte s’ouvrir ni cette inconnue entrer dans sa maison

Comme chaque fois, Viviane se veut rassurante et souriante pour ne pas effrayer ses aïeux, par ses visites surprises.

- Bonjour Perrine, n’aie pas peur, tu ne risques rien. Je ne te veux aucun mal, bien au contraire. C’est pour moi un tel plaisir de te rencontrer. Aussi incroyable que cela te paraisse, je viens du futur, de 2022 exactement soit du futur qui existera dans 131 ans, et je suis ton arrière-petite fille. Il est vrai que pour toi, je pourrais être ta grand-mère puisque j’ai bientôt 63 ans. Je les aurai en décembre, et je sais que toi, tu auras 12 ans fin novembre. Je suis venue te voir en cette année 1891 car je sais que tu vas passer ton certificat d’études et je sais que tu es une écolière studieuse et appliquée.

- Vous êtes mon arrière-petite fille ? Je suis sans doute en train de m’être endormie sur mes devoirs et de rêver en me croyant éveillée car ce n’est pas possible. Cela ne peut pas exister.

- Tu es bien réveillée et même si cela peut te paraître incroyable, je viens bien du futur et je suis devant toi, pour bavarder un peu avec toi. Parle-moi de ta vie, de ton école, de tes rêves pour plus tard, ou du moins ce que toi tu aimerais vivre plus tard, quand tu seras une jeune femme adulte, et puis raconte-moi aussi St Romain. C’est ton village mais ce sera aussi le mien puisque j’en suis native. Je vais y aller à l’école primaire et je le quitterai à 19 ans, pour revenir plus tard à 50 ans et y faire bâtir ma maison dans un pré qui me viendra par héritage de la famille de ton époux, mon arrière-grand-père.

- Depuis 1888, le maire de notre commune de Saint Romain en Jarrest est Monsieur Jean Marie Bonjour.

Viviane réfléchit et se rappelle avoir lu que c’est celui qui a fait un mandat de 47 ans puisqu’il est resté maire jusqu’en 1935, d’abord de Saint Romain en Jarret (ou Jarrest), puis à partir de 1914, de Saint Romain en Jarez. En effet après 1914, la commune a retrouvé son appellation du Jarez, qui vient du temps où les comtes du Jarez possédaient plusieurs paroisses. Avant la révolution française, il n’y avait pas de communes mais des paroisses régies par le clergé et dépendant d’un seigneur. Saint-Romain-en-Jarez était une paroisse très étendue qui recouvrait un territoire correspondant aux communes actuelles de Cellieu, Chagnon, Saint-Christo-en-Jarez, Sorbiers, Fontanès. Elle s'est placée sous la protection de saint Romain, nom porté par plusieurs martyrs et saints de l'Église catholique, et assez répandu dans la région lyonnaise. La commune prit le nom de Romain-les-Vergers en l'an II (1793), pendant la Révolution française, avant de s'appeler Saint Romain en Jarret (ou Jarrest) en 1801 sous le consulat, puis Saint-Romain-en-Jarez en 1914. Historiquement, ce sont les moines bénédictins partis du monastère de La Chaise-Dieu qui les premiers vinrent dans le pays pour le défricher et y fonder un prieuré. (Vers 1050). Le prieuré dépendait de l'abbaye de Île Barbe près de Lyon ; cette affiliation est confirmée par une bulle (diplomatique) du pape Eugène III le 26 février 1153, puis d'Innocent IV le 17 novembre 1250. Le prieuré, protégé des regards extérieurs par une muraille occupait le centre du village. Il était constitué d'une église dont le clocher faisait office de tour de guet, et d'un logement pour les religieux. Comme il devait gérer un temporel constitué de censives, il était bordé par des bâtiments d'exploitation, écurie, cellier, pressoir, four, halle aux grains pour l'usage desquels les habitants devaient acquitter un impôt du fait du droit seigneurial.

Viviane revient dans le présent de sa rencontre lorsque Perrine reprend la parole pour lui expliquer sa vie d’enfant scolarisée dans le village.

- Je vais à l’école des sœurs. C’est un bâtiment en dessous de l’église et du presbytère. Je crois bien que cette école appartient aux sœurs de la Congrégation de Saint Joseph, c’est une école réservée aux filles, quant aux garçons, ils vont dans un autre établissement. Et il y a aussi l’école communale publique. Les enfants des écoles laïque et privée ne se fréquentent pas.

Viviane sait que ses grands-mères et sa mère ont fait partie elles aussi de ladite école privée. Par contre elle-même est allée à l’école laïque dans un autre bâtiment qui abritait la mairie et l’école publique, ainsi que le domicile des instituteurs y officiant, souvent un couple où l’époux enseignait aux cours moyens (CM1 et CM2), voire même aux cours complémentaires (de 11 à 14 ans, année du certificat d’études), et l’épouse était chargée des cours élémentaires (CP, CE1 et CE2). Ensuite les enfants de l’école maternelle qui était située en bas du pavé, dans le bâtiment de la cantine et de la Poste, furent rajoutés aux élèves de l’institutrice, mais de 1964 à 1965, lorsque Viviane était en maternelle, c’était encore au bas du pavé. Par contre, comme pour tous les enfants de la commune saint-romanaire, les cours de catéchisme avaient lieu à l’école privée, dispensés par les religieuses enseignantes ou par le curé de la paroisse.

Perrine reprend, fière d’elle :

- Cette année 1891, je vais passer mon certificat d’études et il me restera encore deux ans avant de quitter l’école. Je suis une élève studieuse et une bonne chrétienne. J’espère que mes parents sont fiers de moi.

Effectivement la loi du 28 mars 1882 rend l’école gratuite et obligatoire de six ans à treize ans révolus.

Elle s’inscrit dans un mouvement de laïcisation de l’enseignement primaire public, dont elle est l’une des étapes fondamentales. Ce mouvement concerne deux dimensions de l’enseignement: le remplacement des religieux par des laïcs dans le corps enseignant, et l’élimination du contenu religieux des programmes scolaires. L'enseignement primaire comprend l'instruction morale et civique, la lecture et l'écriture, la langue et les éléments de la littérature française, la géographie, particulièrement celle de la France, l'histoire, particulièrement celle de la France jusqu'à l’époque dite contemporaine (19^ème siècle en 1882),quelques leçons usuelles de droit et d'économie politique, les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques, leurs applications à l'agriculture, à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers, les éléments du dessin, du modelage et de la musique, la gymnastique, pour les filles, les travaux à l'aiguille. Les écoles primaires publiques seront fermées un jour par semaine, en plus du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner à leurs enfants, l'instruction religieuse en dehors des édifices scolaires. L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.

Perrine quittera sans doute l’école en juin 1893, âgée de 13 ans et demie. Son destin sera celui de toutes les femmes de l’époque, être formatée pour devenir une bonne épouse et une mère accomplie. En effet depuis le Code Civil instauré par Napoléon Bonaparte, en date du 21 mars 1804, les femmes ont perdu le peu de droits dont elle disposait sous l’ancien régime, et ceux qu’elles avaient gagné avec la révolution française. Napoléon leur a ôté toute autonomie de leur naissance à leur mort, s’inspirant sans doute du Coran, qu’il a eu l’occasion de lire ou d’étudier lors de la campagne d’Egypte de 1798 à 1801, et notamment de la « charia » loi musulmane, réduisant les femmes à l’état de mineure à vie. Leur seule destinée consistait à passer de l’autorité du père à celle du mari. Il faudra quand même attendre 1965 pour que les femmes puissent disposer de leurs biens, sans être assistées et autorisées par leurs époux et 1986, pour être enfin délivrées de la mention du « chef de famille » inscrite sur le livret de famille remis lors du mariage civil en mairie.

Si on compare à l’échelle du temps, 36 ans du droit officiel à être une personne à part entière, c’est vraiment peu et les féministes actuelles feraient bien de se pencher sur des droits chèrement acquis que certains, au nom de leur religion, voudraient bien abolir, au lieu de gaspiller leur énergie dans des combats qui n’ont pas lieu d’être. Un dicton en Arabie saoudite dit que les femmes ne possèdent que deux choses sur terre, leur voile et leur linceul. Le message est clair. Napoléon en a pris acte car avec lui, le sort des femmes fut scellé pour 160 ans.

- Félicitations à toi pour tes bons résultats ma chère arrière-grand-mère Perrine, et sinon que fais-tu ? je suppose que tu apprends à broder comme toutes les jeunes filles de ton âge, afin d’être en mesure de préparer ton trousseau lorsque tu te marieras.

Autrefois chaque jeune fille préparait son trousseau en vue de ses noces futures, une tradition qui faisait partie de la dot apportée dans la corbeille du mariage. Ce trousseau consistait notamment dans la confection du linge de maison, nappes, serviettes de table, draps dessus et dessous, taies de traversins, d’oreillers, mouchoirs et même parfois le linge de corps. A une époque où la toile de drap était un bien précieux, il était d'usage de répertorier chaque pièce en « marquant » les draps, les torchons et autre linge de maison, souvent avec des initiales mais aussi des chiffres qui facilitaient leur identification. Le marquage du linge, généralement au fil rouge et au « point de marque » avait un rôle utilitaire contrairement aux broderies d'ornement généralement en broderie blanche (sur taies oreiller par exemple).

Elle brodait d’abord son initiale, et lorsqu’elle se fiançait, elle rajoutait celle de son futur mari à gauche de la sienne. Une fois terminée, cette broderie formait un monogramme. Un monogramme est un emblème qui réunit plusieurs lettres en un seul dessin, avec ou sans ornements supplémentaires. En vocabulaire de broderie, le monogramme ou chiffre est le nom des lettres initiales brodées sur les pièces des trousseaux, des mouchoirs ou des draps.

(Monogramme brodé par Perrine sur les serviettes de son trousseau lors de ses noces avec Jean-Pierre)

Constituer son trousseau prenait plusieurs mois, voire plusieurs années pour la future épouse.

- J’aime beaucoup coudre, broder, tricoter et lire de bons ouvrages pieux. Toutes les fillettes de mon époque ont un « abécédaire » pour apprendre les différents points de broderie.

Viviane se souvient que sa grand-mère employait le terme d’abécédaire mais que l’ouvrage en question se nomme aussi un marquoir.

Perrine reprend :

- Quand j’aurais fini l’école dans deux ans, je vais aider mes parents aux travaux de la ferme, et peut-être que mes parents me placeront comme bergère ou domestique, je ne sais pas encore. Il n’y a pas beaucoup de métiers pour les femmes. Soit elles sont domestiques ou servantes dans des fermes ou chez des « bourgeois ». Dans le premier cas, elles effectuerons des travaux agricoles, dans le deuxième cas, elles seront femmes de chambres, cuisinières, lingères ou nourrices, soit elles doivent apprendre un métier comme lavandière, couturière, brodeuse, modiste. Il y a aussi la matrone ou sage-femme mais comme je suis l’avant-dernière de ma fratrie, je pense que mes parents me garderont auprès d’eux jusqu’à ce que je me trouve un époux convenable et je deviendrai ce qu’on appelle une ménagère, en l’occurrence une femme qui s’occupe de son ménage, c’est-à-dire de son foyer, mari et enfants à venir.

Viviane sourit en l’écoutant parler, car elle se dit qu’un petit garçon de 12 ans, écolier dans l’école privée des garçons, sera son prétendant et qu’ils vivront sans doute une histoire harmonieuse, jusqu’à ce que la mort les sépare.

Il est temps de partir, et comme chaque fois, c’est toujours avec un sentiment de tristesse qu’elle fait ses adieux à ses aïeux.

- Ma charmante arrière-grand-mère, ma chère Perrine, je vais devoir te quitter car je dois repartir dans mon monde lointain. Prends bien soin de toi et sois heureuse. J’ai été vraiment très heureuse de t’avoir rencontrée.

- Moi aussi j’ai été contente de vous avoir rencontré, madame, je sais que vous êtes mon arrière-petite-fille mais j’ai du mal à l’imaginer. Prenez soin de vous aussi et que votre vie dans ce siècle lointain vous soit le plus doux possible.

Viviane prononce le « sésame » magique et se retrouve dans la seconde qui suit, au milieu de son salon, un peu déboussolée comme à chaque retour de ses voyages intemporels.

Elle ne sait pas encore quelle sera sa prochaine destination car elle doit d’abord amortir le contrecoup de son escapade à travers le temps.

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Viviane B-Brosse alias Sherry-Yanne

Copyright 00067596

Extrait du manuscrit RENCONTRES ANCESTRALES OU VOYAGES INTEMPORELS

publié sur mon site sherryyanne.com

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