PAGE DE VIE GÉNÉALOGIQUE : ANNÉE 1891
L’année 1906 a vu célébrer les noces de 3 couples d’arrière-grands-parents sur 4 et j’ai intégré cette page de vie qui leur était propre dans celle de l’histoire du pays. Le 4ème couple de bisaïeux s’est marié en 1891 et j’ai eu envie de découvrir, pour eux aussi, ce qu’il en était de vivre en 1891.
Depuis 1887, le président de la France est Sadi Carnot, qui sera assassiné le 24 juin 1894 à Lyon par un anarchiste italien Santo Caserio.
A la crise économique et sociale qui touche la France depuis le début des années 1880, avec son cortège de faillites, de chômage et surtout de désillusions ouvrières, la république modérée, dite « opportuniste », n'oppose que son conservatisme social et son instabilité chronique. Discrédité par les scandales le régime parlementaire prête le flanc aux attaques conjuguées de la droite monarchiste, des nationalistes ligueurs et du mouvement ouvrier.
Les idées anarchistes se propagent insidieusement en France et en 1891, commencera le périple meurtrier de l’anarchiste sans doute le plus connu, dont le seul nom faisait trembler toute la nation, le sanglant Ravachol, natif de Saint Chamond dans la Loire, ville où vivront plus tard Claude et Marie Anne, mes arrière-grands-parents maternels et où ils mourront. Il fut même composé une chanson que les gens fredonnaient sur l’air de la Carmagnole.
Effectivement c’est en 1891, après avoir été mis une nouvelle fois à la porte, que ce révolté du système sociétal d’alors, décide de vivre véritablement en marge d’un monde qu’il hait et commence sa cavale meurtrière, dans la Loire, en dépouillant et tuant des victimes innocentes, poussant l’indécence à piller une tombe pour récupérer les bijoux de la défunte. Recherché, il s'enfuit à Barcelone, où il est accueilli par l'anarchiste Paul Bernard, condamné par contumace. Il y apprend à fabriquer des bombes, ce qui va lui être très utile dans sa nouvelle carrière de justicier. Revenu à Paris, c'est désormais au nom de la cause anarchiste qu'il va en effet « s'exprimer ». Le 11 mars 1892, il fait sauter un immeuble situé au 136 boulevard Saint-Germain. Enfin arrêté il sera jugé deux fois, d’abord à Paris puis à Montbrison dans la Loire où il sera condamné à mort et exécuté le 11 juillet 1892.
Pour les français, l’année commence par un froid glacial qui dure depuis 2 mois. Cette vague de froid est caractérisée par sa longueur (du 26 novembre 1890 au 20 janvier 1891) et par la quasi absence de neige. Ceci a pour conséquence de détruire une grande partie des céréales. A Paris, la Seine est entièrement gelée du 11 au 24 janvier. C’est d’ailleurs la température la plus basse jamais enregistrée au cours d’un mois de novembre depuis 1788. Ce froid affecte toute la France, y compris le nord de l’Algérie. La Loire gèle dès le 15 décembre à Nantes.
Il gèle à « pierre fendre » en ce mois de janvier et la Seine est complètement recouverte de glace, transformée en patinoire, tout comme le bois de Boulogne, où les « beaux messieurs » et « belles dames » ne font plus leurs promenades en calèches mais en traineaux, ou patins à glace.
Il fait tellement froid que le matin, on retrouve des pauvres gens, morts dans leur sommeil, n’ayant pas eu d’abri pour se protéger de la morsure hivernale. Le 18 janvier, il fait moins 16,8 degrés à Lyon et dans les villages de campagnes aux alentours, la température doit sans doute être encore plus basse.
Malheureusement le dégel qui se fait sentir à partir du 21 janvier, provoque d’autres dégâts puisque les ruptures de la glace ont parfois des conséquences dramatiques.
Claude et Marie Anne avaient sans doute bien d’autres préoccupations. Claude était veuf depuis avril 1890, jeune père trentenaire de deux enfants âgés de 5 ans et 2 ans, et comme la plupart des jeunes veufs de cette époque, il a fait le choix de se trouver une nouvelle épouse pour s’occuper de ses petits orphelins. Marie Anne a 22 ans, et elle est très belle. L’union est décidée et célébrée le 28 janvier 1891, non sans avoir signer un contrat de mariage devant notaire. Nos aïeux étaient prudents et avaient raison de l’être.
Le 28 janvier 1891,Claude et Marie Anne unissent leurs destinées à la mairie puis à l’église d’Aveizieux dans la Loire.
En ce jour de noces, il fait sans doute plus doux mais qu’en est-il des jeunes époux ? Est-ce que ce jour fut festif ou pas ? une simple formalité de survie ou bien un véritable attachement entre époux ? Comment le savoir, et surtout l’imaginer puisque notre éducation moderne nous empêche de penser comme nos ancêtres. Claude et Marie Anne auront leur premier enfant en 1891, lequel mourra très vite et malheureusement, cette mort infantile sera suivie de beaucoup d’autres car sur les 9 enfants que j’ai recensés, seuls 2 enfants arriveront à l’âge adulte, une fille et un garçon, mon grand-père maternel.
L’année s’écoule inexorablement, les mois défilent avec leurs lots d’évènements divers.
Le 19 avril 1891, nait Françoise Gilberte Bandy de Nalèche qui sera connue plus tard sous son nom d’actrice Françoise Rosay, une actrice qui jouera avec les plus grands acteurs de son époque (120 films). Epouse du cinéaste Jacques Feyder, elle sera aussi une résistante de la première heure, et devra s’enfuir à Londres rejoindre la « France libre », pour éviter d’être arrêtée par la Gestapo.
Le 20 avril 1891 Thomas Edison présente au public et à la presse le kinétographe, ancêtre de la caméra, et le kinétoscope, ancêtre de la visionneuse. A l'époque, le spectateur devait placer son œil sur un objectif pour voir un film d'une durée d'une ou deux minutes.
Le Kinétographe est la première caméra argentique de l’histoire du cinéma, conçue en collaboration par l’inventeur et industriel américain Thomas Edison avec son ingénieur électricien, William Kennedy Laurie Dickson, secondé par William Heise, spécialiste du télégraphe électrique. Elle enregistre les premiers films sur support photographique, en tout 148 films de 1890 à septembre 1895.Cette invention par un américain est certainement parvenue en France, et a eu une répercussion sur le destin des frères Lumière à Lyon. En effet trois ans plus tard en 1894, Antoine Lumière, le père d'Auguste et de Louis, assiste à Paris à une démonstration du kinétoscope et également, à deux pas de là, à une projection d'Émile Reynaud dans son Théâtre optique. Pour Antoine, pas de doute : l'image animée est un marché d'avenir pour la famille, en direction de sa clientèle habituelle, les riches amateurs, à condition de marier le miracle de l'image photographique en mouvement avec la magie de la projection sur grand écran. Convaincu à son tour, Auguste Lumière se lance dans la recherche avec un mécanicien, Charles Moisson. Il échoue et c'est Louis qui prend le relais. Durant l'été 1894, dans l'usine Lumière de Lyon-Monplaisir, il met au point un mécanisme ingénieux qui se différencie de ceux du kinétographe et du kinétoscope. Comme Edison, il adopte le format 35 mm, mais, pour ne pas entrer en contrefaçon avec la pellicule à huit perforations rectangulaires autour de chaque photogramme, brevetée par l'inventeur et industriel américain, il choisit une formule à deux perforations rondes par photogramme (abandonnée par la suite).
Le 1er mai 1891, eut lieu la fusillade de Fourmies.
Cet évènement s'est déroulé à Fourmies (Nord). Ce jour-là, la troupe met fin dans le sang à une manifestation qui se voulait festive pour revendiquer la journée de huit heures.
Le bilan est de 9 morts, dont 2 enfants, et de 35 blessés.
Bien que les forces de l’ordre aient été mises en cause, neuf manifestants furent condamnés pour entrave à la liberté de travail, outrage et violence à agent et rébellion, à des peines de prison de deux à quatre mois fermes. Dans les usines austères et insalubres, le travail dure 12 h/jour, parfois 15, six jours sur sept. Les salaires des ouvriers du textile sont particulièrement bas. À partir de 1885, l'industrie textile dans le Nord-Pas-de-Calais commença à rencontrer des difficultés. Cette crise de rentabilité fut directement répercutée sur les ouvriers, par des mises au chômage et des baisses de salaires alors que le prix de la nourriture et des loyers augmentait .Dans ce centre lainier, plusieurs grèves ont éclaté, notamment en juin 1886 où un millier d'ouvriers manifestèrent dans les rues de Fourmies. L'hiver 1890-1891 fut particulièrement rigoureux, au cours de celui-ci 3000 habitants doivent être secourus. De nouvelles grèves éclatèrent en avril 1891 dans plusieurs usines. Le 1er mai, dès 5 h les manifestants étaient présents pour la prise de poste devant les usines de Fourmies et Wignehies, ils y distribuaient des tracts et tentaient de convaincre les ouvriers de se joindre à eux .À partir de 11 h 30, les délégations des différentes usines en grève sont reçues à la mairie où elles remettent leurs revendications. Les rues de Fourmies s'étaient peu à peu vidées, tandis que certains manifestants partaient à Wignehies et d'autres partageaient leur repas en famille dans les estaminets. En début d'après-midi, des ouvriers étaient de nouveau rassemblés devant la mairie Les gendarmes à cheval dispersent les manifestants et procédèrent à de nouvelles arrestations. La fête n'était plus d'actualité et la représentation fut alors annulée .À 15 h 30, les renforts du 145e régiment d'infanterie arrivèrent en gare de Fourmies, accueillis sans hostilité. Parmi eux se trouvaient des conscrits du pays, et l'armée était plutôt bien considérée. Ils se dirigèrent vers la mairie, suivis par des badauds Au même moment, les gendarmes à pied se faisaient chahuter sur la place, d'abord en riant, puis la bousculade fut accompagnée de jets de pierre et d'insultes. Un roulement de tambour et une petite avancée du 84e éparpilla les manifestants. À 18 h 15, 150 à 200 manifestants arrivent sur la place et font face à trente soldats équipés du nouveau fusil Lebel qui contient neuf balles (une dans la chambre et huit en magasin) de calibre 8 mm. Ces balles peuvent, quand la distance n'excède pas cent mètres, traverser trois corps humains sans perdre d'efficacité. Les cailloux volent; la foule pousse. Pour se libérer, le commandant François Chapus fait tirer en l'air. Collés contre la foule, les trente soldats, pour exécuter l'ordre, doivent faire un pas en arrière. Ce geste est pris par les jeunes manifestants pour une première victoire. Kléber Giloteaux, leur porte-drapeau s'avance et crie « Vive la grève ! Vive l'Armée ! ».Il est presque 18 h 25. Le commandant Chapus s'écrie : « Feu ! feu ! feu rapide ! Visez le porte-drapeau ! ». Bilan : neuf morts, trente-cinq blessés (au moins) en quarante-cinq secondes. (source wikipédia)
D’autres grèves auront lieu en juin 1891 dont celle des transports et il arrive de voir des omnibus se faire prendre d’assaut.
31 juillet-1er août 1891 : Émile Levassor et Louise Cayrol réussissent un voyage en automobile de Paris à Étretat. Panhard & Levassor fabriquent des automobiles en série dès novembre 1891.
Dans leur campagne rurale Claude et Marie Anne sont sans doute peu au fait de certains de ces évènements car en aout, ils subissent la perte de leur premier enfant, ignorant qu’ils allaient vivre la même tragédie douloureuse pour 7 de leurs enfants.
Le mercredi 30 septembre 1891 le suicide du Général Boulanger sur la tombe de sa maîtresse alimentera les discussions dans plusieurs demeures françaises. Celui-ci vient souvent fleurir la tombe de sa maîtresse, Marguerite, emportée par la phtisie le 16 juillet. Sa mort a laissé le général anéanti. «Je ne suis plus qu'un corps sans âme», écrivait-il peu après la disparition de la dame. Elle était devenue le grand amour de Boulanger un an plus tôt et l'avait suivi ensuite dans son exil belge. Parvenu au pied de sa tombe, le général sort soudain de sa poche un pistolet de gros calibre et se l'applique sur la tempe. Un coup retentit. Boulanger s'écroule. Aussitôt, la nouvelle se répand dans les deux capitales. Les éditions spéciales se succèdent. A Paris, Clemenceau lâche ce mot terrible à l'égard d'un ancien ministre de la Guerre: «Il est mort comme il a vécu: en sous-lieutenant.» La cruauté du futur «Tigre» est d'autant plus marquée qu'il est un ancien camarade du général au lycée de Nantes et, surtout, que c'est lui qui a obtenu en 1886 sa nomination au ministère, lui permettant ainsi de faire ses premiers pas en politique. Mais cela, c'était avant que la machine Boulanger ne devienne incontrôlable.
En 1891,Arthur Rimbaud le poète, n’écrit plus de poésies et désormais il vit à l’étranger. Mais cette année là il souffre de douleurs au genou et se fait rapatrier en France. A Marseille, les médecins découvrent une tumeur au genou. Rimbaud doit immédiatement se faire amputer de la jambe droite. La maladie progresse et Rimbaud meurt le 10 novembre 1891 à Marseille à l'âge de 37 ans. Il est enterré au cimetière de Charleville-Mézières. Arthur Rimbaud a créé un style moderne, loin de la poésie traditionnelle et de son lyrisme. Tout le monde a sans doute étudié son « dormeur du val » à l’école.
Novembre : création de la Fédération française des sociétés féministes. La création de la fédération est annoncée en novembre 1891. Eugénie Potonié-Pierre rassemble huit groupes féministes à Paris pour former la Fédération française des sociétés féministes ; Marya Chéliga-Loewy y participe. L'« Union universelle des femmes » rejoint par la suite la fédération de même que la Société de l'allaitement maternel. La Fédération française des sociétés féministes est créée pour rassembler des associations qui par ailleurs pouvaient avoir des opinions et des moyens d'action différents. C'est la première fois que le terme « féministe » est utilisé dans le nom d'une association. Les personnes appartenant à ce mouvement considèrent que la présence des hommes doit être acceptée alors que de nombreux autres groupes étaient exclusivement féminins.
L’année va se terminer pour Claude et Marie Anne comme pour des millions de français dans le souci quotidien d’avoir du travail pour survivre dans une société si dure pour ceux qui ne sont pas issus d’un milieu aisé. Manger à sa faim .est la priorité du peuple que celui-ci soit issu du milieu agricole ou ouvrier. Les familles de laboureurs (propriétaires de leurs terres) ont souvent beaucoup d’enfants et un seul est l’héritier universel des biens des parents. Le reste de la fratrie doit se débrouiller pour s’en sortir. Les filles épousent si possible un beau parti (paysan avec des terres) et les hommes se marient avec des filles qui ont une belle dot ou des terres s’il n’y a pas de fils. Les autres partent louer leurs bras dans les champs. L’industrialisation du 19ème siècle est une opportunité pour des milliers d’hommes qui partent travailler dans des usines contre un salaire fixe. Ce sera le cas de Claude qui finira par quitter sa campagne avec sa famille pour s’installer dans la ville de Saint Chamond dans la Loire où il sera « chauffeur » (profession spécifique dans les usines d'aciérie notamment, et non pas chauffeur en tant que conducteur d'engins).
Autres Evènements 1891 (source Wikipédia)
- 28 février : création de l'Office du travail par un décret du Conseil supérieur du travail.
- 6 mars : le Sénat français nomme une commission de dix-huit membres dirigée par Jules Ferry chargée de réorganiser l’administration de l’Algérie.
- 14 mars : loi qui fixe l'heure légale en France métropolitaine et en Algérie à l'heure du temps moyen de Paris.
- 18 avril : Jules Cambon est nommé gouverneur général de l’Algérie française (fin en 1897). Il applique une politique indigène plus libérale, liée à un rapide essor économique.
- 25 avril : création du journal L'Agriculture nouvelle
-8 mai : discours à la Chambre du député Georges Clemenceau sur la Fusillade de Fourmies. Il évoque la révolution à venir « c'est le Quatrième État qui se lève et qui arrive à la conquête du pouvoir » et demande et obtient l'amnistie pour les grévistes poursuivis.
-18 juin et 14 août : Édouard Michelin dépose les premiers brevets de pneus avec chambre à air démontables pour les bicyclettes et autres véhicules.
- 27 août : accord d’alliance secret franco-russe par échange de lettres. La France obtient seulement de la Russie une promesse de concertation commune en cas de conflit européen.
- 6-15 septembre : le quadricycle Peugeot Type 3 suit la course cycliste Paris-Brest-Paris, remportée par Charles Terront.
-20 novembre : Louise Koppe, avec l’appui de Léon Bourgeois, fonde à Paris la première maison maternelle.
-26-28 novembre : neuvième Congrès national du Parti ouvrier tenu à Lyon.
Mon voyage dans le temps s’achève et je remonte son cours de 131 ans pour revenir en 2022 où les conditions de vie sont quand même bien meilleures pour tout le monde, grâce aux aides sociales, conséquences de la solidarité nationale, ce qui permet aux plus démunis de pouvoir survivre et se soigner gratuitement.
Bonne lecture à vous !
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Tous droits réservés 11 janvier 2022
Viviane Brosse alias Sherry-Yanne
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Publié sur mon site SHERRY-YANNE le même jour.
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