LETTRE A MON AÏEULE MATERNELLE MARIE MOULIN SOSA 7 GÉNÉRATION 3
LETTRE A MARIE MA GRAND-MÈRE MATERNELLE
Marie, toi qui fus ma marraine en plus d’être ma grand-mère maternelle, ton prénom résonne dans mes souvenirs, maintenant que je suis dans ma soixantième année, au même titre que celui de Claudia ma grand-mère paternelle.
Lorsque vous aviez 60 ans, j’avais seulement 8 ans mais j’ai tellement de souvenirs avec vous deux, aux personnalités si différentes pourtant.
Vous étiez nées toutes les deux en juillet 1907, l’une le 13 et l’autre le 15, même mois, même année ! quelle coïncidence !
Claudia est partie rejoindre Jean-Marie son époux en juin 1989 et toi Marie, tu as quitté ce monde en juin 2001. Ton Albert t’attendait depuis novembre 1945. 56 ans de séparation ! Un bail ! plus de la moitié de ta longue vie !
Lui n’avait que 36 ans à son décès et toi 94 ans, à vous deux cela fait 130 ans, soit une moyenne de 65 ans chacun ! tant d’années que tu as vécu pour deux car il n’est jamais sorti de ton cœur, malgré ton second mariage avec un homme que tu n’as sans doute jamais aimé car tu n’en parlais jamais, contrairement à ton « cher Albert, ton amoureux, le père de tes enfants ».
Le souvenir le plus marquant de mon enfance, fut cette dizaine de jours passés chez toi en juillet 1970, lors de la naissance de mon plus jeune frère. J’étais dans ma onzième année.
Une joie intense !
Une sensation d’être unique !
Des moments de tendresse !
Des souvenirs gravés dans l’intemporel de ma mémoire !
Et pourtant tu ne vivais pas dans le luxe.
Une vie simple !
Il me reste plus des flashs que des souvenirs précis.
Je me souviens de ta confiture de mûres que j’étalais sur mes tartines. Un délice ! Une saveur jamais retrouvée, hélas !
Je me rappelle aussi les jours de marché à la ville voisine. C’est à pieds que nous parcourions les 3 ou 4 kms de ta maison jusqu’au village pour prendre le car du marché et idem au retour avec ton panier chargé. Tu m’avais acheté 2 jolies petites robes et j’étais tellement contente car tu m’avais laissé choisir celles qui me plaisaient vraiment à moi.
Juillet 1970 restera pour moi un temps de calme et de paix.
Plus tard lorsque j’ai eu la vingtaine et que je rencontrais mon premier époux, le père de mes enfants, j’entends encore ta voix me raconter ta belle histoire d’amour avec ton Albert, qui t’avait été enlevé beaucoup trop tôt.
Maudite guerre !
Votre longue séparation de 6 ans !
Vos retrouvailles au printemps 1945 !
Pour si peu de temps ! 3 mois environ !
Puis la maladie et la mort pour les 3 mois suivants !
La mort de ton bien-aimé en novembre 1945 !
Tu n’avais que 38 ans et tu te retrouvais seule et démunie avec trois petits enfants de 12, 9 et 8 ans, de pauvres enfants privés de leur père, les six dernières années alors qu’ils n’avaient que 6, 3 et 2 ans. Hélas cela n’a pas dû te changer beaucoup puisque tu avais dû faire face à l’adversité et pallier au manque « financier » du fait de la mobilisation de ton mari.
Je pense mais je n’en aurais jamais la certitude, que ton second mariage, à peine 2 ans et 3 mois après le décès de ton « cher Albert » t’a été dicté pour des raisons de survie familiale. Ton père venait de décéder, tes enfants étaient encore si jeunes et en tant que « femme seule », tu n’arrivais peut-être pas à exploiter la petite ferme familiale léguée par ton père Joanny.
Il m’est impossible de me mettre à ta place car je n’ai pas vécu la guerre et ses privations mais je sais ce que c’est de se retrouver, seule et sans ressources avec trois enfants à charge. Contrairement à toi j’ai eu la chance de vivre dans une période où le système social français permet de survivre malgré la misère.
Toi et moi, nous avons un autre point commun. En effet, tout comme moi, tu as perdu un enfant, ton 2ème enfant, un petit garçon Florent né fin 1934 et décédé subitement début 1935. Je n’oublierai jamais ta réaction quand mon petit Richard est décédé en février 1987, âgé de 4 mois. Mon mari (et père de mon enfant) et moi, avions demandé la dérogation de transporter la dépouille de notre défunt bébé, du département du Rhône ou nous résidions, à celui de la Loire, dans la maison de mes grands-parents paternels, en attendant l’inhumation dans notre caveau familial. Richard reposait sur le lit, dans sa robe de baptême en attendant la mise en bière, et tu es entrée. J’ai cru que tu allais t’effondrer. Toi que je n’ai jamais vu pleurer, tu as eu des larmes plein les yeux et tu répétais « on dirait mon petit Florent ». Tu allais sur tes 80 ans et Florent était mort depuis 52 ans, pourtant à ce moment-là, tu revivais ta douleur de jeune maman, cette douleur incommensurable qui ne cesse jamais, ce que je sais à mon tour puisque 33 ans se sont écoulés et la même émotion me submerge.
Les grandes douleurs sont toujours muettes. On apprend vite à garder en nous, nos peines et nos chagrins, sans doute pour ne pas ennuyer les autres avec cette souffrance indicible qui ronge le cœur.
De fait, avec deux grands-mères battantes, ne se laissant pas abattre par les mauvais coups du sort, (accidents de la vie, maladie, deuil etc) j’ai été à bonne école pour ne pas laisser les aléas de la vie me submerger sans combattre. A votre manière, toutes les deux, vous étiez des guerrières ? des « warriors », dirait-on maintenant et je suis fière d’être votre petite fille.
Dans mes souvenirs, vous demeurez à jamais comme les bons anges de mon enfance, ainsi que mon grand-père paternel, mon parrain, des anges de gentillesse et de tendresse, même si cela ne se manifestait pas par des gestes démonstratifs. J’ai d’ailleurs hérité de ce trait de caractère car si mon cœur explose de tout l’amour que je porte à mes proches, je ne suis pas caresses et embrassades. Je montre mes sentiments dans les actes plus que dans les paroles. C’est ainsi ! Parfois j’ai l’impression que c’est une tare dans la société actuelle mais je n’y peux rien.
Cette lettre est destinée à Marie ma grand-mère maternelle car nous avons eu des similitudes de vie.
Elle a perdu un enfant en bas âge comme moi et elle s’est retrouvée veuve le jour de son 13ème anniversaire de mariage (tristesse de la destinée !) et moi je me suis retrouvée divorcée dans ma 13eme année de vie commune. Toutes les deux, nous avions trois enfants à charge et ce n’était simple ni pour elle, ni pour moi. Elle s’est remariée 2 ans et demi plus tard avec un homme qu’elle n’aimait pas et moi j’ai attendu 10 ans avant de convoler en 2èmes noces avec mon époux actuel.
Ma grand-mère aimait éperdument mon grand-père paternel. Je m’en suis rendue compte lorsque j’ai épousé mon premier mari. Elle était toujours pudique lorsqu’elle parlait de « son cher Albert » mais ses yeux brillaient, faisant revivre en elle, la jeune femme de 20 ans, lorsqu’elle évoquait ses souvenirs. De plus, elle m’a souhaité de vivre avec mon compagnon, le même amour qui l’unissait à « son cher Albert » et ces simples mots en disaient beaucoup plus. Savoir que ma grand-mère ait pu être une femme amoureuse, m’a rendu heureuse pour elle, même si le destin cruel a écourté leur belle romance.
J’espère un jour pouvoir écrire sur Claudia mon autre grand-mère, celle qui m’a appris à lire, écrire et les bases du crochet, ces bases qui me permettent maintenant de tricoter mes couvre-lits au crochet. Elle m’a aussi transmis le sens des valeurs familiales et sociétales ainsi que celles du féminisme, notamment la bataille pour les droits des femmes, le goût pour la généalogie (oralement, elle a été capable de me transmettre certains ascendants de ses parents sur 6 générations, pour elle, soit pour moi 8 générations). Je lui dois aussi certains traits héréditaires caractéristiques. Une femme cultivée, intelligente ! Elle avait été 2ème du canton au certificat d’études et en travaillant 2 heures par dimanche avec le curé de sa paroisse, elle s’était classée 7ème du canton lors d’un autre examen (elle m’avait dit le bachot mais mes souvenirs ont plus de 50 ans donc je préfère ne pas m’avancer plus).
Mes grands-mères étaient de vieilles dames adorables et leur souvenir restera dans mon cœur à jamais.
Merci à vous deux pour les bons moments de mon enfance que je vous dois.
Tous droits réservés sur mon texte et mes photos personnelles
Texte écrit en juillet 2019, repris en mars 2020 – 23 mars 2020
V.B-Brosse aliasSherry-Yanne
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Publié sur mon site SHERRY-YANNE EN POÉSIES le même jour