RÉFLEXION SUR UNE VIE ÉCOULÉE TROP VITE
Accepter de vieillir, c’est se dire qu’on a eu la chance de vivre ces étapes différentes celles que l’on traverse du jour où l’on nait, jusqu’au jour où l’on meurt. Chacun d’entre nous a dû laisser partir des êtres aimés ou pas, des êtres fauchés en pleine jeunesse ou au cours du périple de notre vie, se sentir parfois abandonnés par ces départs si douloureux.
La soixantaine a sonné pour moi et les années entamées me font galoper vers les 70 ans et lorsque je prends le temps de poser un regard sur le cours de ma vie, je me fais souvent la réflexion que je n’ai pas vu défiler les années et que ma jeunesse s’est perdue en cours de route, oubliée sans doute par les exigences de l’instant présent, exigences prioritaires et sacrificielles.
Être un parent isolé, sans ressources, devant assumer l’éducation de plusieurs enfants, l’entretien d’un foyer, les recherches d’emploi et les formations pour y arriver, n’est pas de tout repos lorsqu’on doit tout gérer toute seule. Je sais bien qu’il y a des messieurs qui élèvent seuls leurs enfants mais dans la majorité des cas, ce sont des femmes et la société ne leur fait aucun cadeau, tolérante avec les défaillances des hommes mais jamais avec celles des femmes qu’on juge et condamne, sans même leur permettre de se défendre. Ce ne sont que les conséquences du patriarcat qui reste ancré dans la mémoire collective.
Les accidents de la vie laissent des séquelles à tous ceux qui les vivent et malheureusement, ceux qui critiquent toujours sont ceux, qui ne les subissent pas, voire jamais, et seraient complètement perdus ou paniqués s’ils devaient vivre la même situation, au quotidien.
Ce n’est même pas une question de générations car les jeunes femmes de 30 ans, « parent isolé » d’aujourd’hui, éprouvent le même ressenti que les jeunes femmes de 30 ans dans les années 1990.
C’est bien une histoire sociétale, plus qu’une histoire générationnelle.
La femme mûre de 62 ans regarde avec lucidité la jeune femme de 30 ans qui bataillait pour s’en sortir, pour sortir la tête hors de l’eau, pour trouver un emploi, ne plus être au « rmi » (rsa de nos jours) et donner à ses enfants, une enfance où ils ne manqueraient de rien. Ce furent des années de galère, de privations et de manque de sommeil, pour avancer et réaliser les projets planifiés vers un avenir meilleur.
Bien sûr, c’était loin, à des années lumières, des rêves de la jeune fille de 20 ans, qui se voyait faire le tour du monde, explorer la terre entière, découvrir les autres cultures, s’imprégner des traditions d’ailleurs, en compagnie d’un homme loyal et fidèle.
Tout le monde sait bien que les contes de fées ne se réalisent jamais et que les rêves restent à l’état d’embryon dans nos pensées.
Lorsqu’elle quitta la maison de ses parents, à 19 ans, elle n’imaginait même pas qu’elle traverserait des périodes de vie douloureuse.
Comme toutes les jeunes filles, elle se voyait mariée avec des enfants, un travail, une maison et du bonheur en pagaille, où elle se plongerait avec délice, remerciant le ciel de ses bienfaits.
Ce ne fut pas le cas !
Le destin en avait décidé autrement.
Comment aurai-elle pu imaginer qu’elle vivrait le « cauchemar » de toutes les mamans, de tous les parents ? la mort d’un enfant choyé et aimé.
Aucun parent n’est préparé à la perte d’un enfant et notamment de son premier enfant. Lorsque celui-ci apparait pour la première fois, tous les jeunes parents sont en extase devant cette petite merveille issue de leur amour. On est prêts à tous les sacrifices du monde pour que ce bébé soit heureux et épanoui.
Comment imaginer que la mort rôde près de son berceau ? fin du vingtième siècle, aucun parent ne pense aux décès infantiles comme cela existait encore au début dudit siècle.
Et pourtant c’est encore une réalité et surtout entre 1986 et 1987, où la catastrophe de Tchernobyl du 26 avril 1986, était encore dans tous les esprits, même si en France, il n’y avait soi-disant aucun danger. Les déchets radioactifs s’étaient arrêtés bien sagement, à la frontière.
Son premier né, son joli bébé fut une victime collatérale de cette tragédie nucléaire. En France en 1987, 1500 enfants (de moins de 2 ans et plus particulièrement dans leur première année d’existence), moururent de la « mort subite inexpliquée du nourrisson », contrairement aux années précédentes où la mortalité infantile liée à la MSN (mort subite du nourrisson) était de 400 décès annuels. Leurs mères étaient enceintes en avril 1986, pour la plupart des enfants décédés. Son joli petit garçon était le trentième décès en même pas deux mois, à l’hôpital Ste Eugénie (Lyon Sud) mais comment, en tant que jeunes parents endeuillées, auraient-ils pu faire le rapprochement avec la catastrophe russe. C’est bien plus tard, en lisant plusieurs articles sur le sujet, appuyés par des chiffres, qu’’elle a compris la réalité d’une situation qu’il fallait taire, à l’époque, pour ne pas effrayer le peuple. Ni les dirigeants politiques ni les médias, n’ont informé de la dangerosité radioactive planant sur les pays européens, en suite de ce drame nucléaire.
Les années suivantes, elle eut trois autres enfants dont celui né en 1988, rescapé lui aussi de ce terrible fléau, car pris à temps, contrairement à un autre bébé né en même temps que lui et décédé malheureusement lui aussi de cette mort subite du nourrisson, drame effroyable pour sa maman qui n’a pas compris qu’on pouvait mourir dans son sommeil, à la crèche.
Dans sa petite maison, avec ses trois petits, elle pensait que l’avenir serait sans doute plus radieux que par le passé mais ce ne fut pas le cas. Son mari volage s’envola sous d’autres cieux ou plutôt dans d’autres bras accueillants.Tout vola en éclats en quelques mois.
Sa vie était en cendres, son mariage terminé, sa maison vendue, des dettes, pas de boulot, pas d’argent, et un avenir qui s’annonçait très sombre.
Elle avait un peu plus de 30 ans et ne rêvait plus du tout.
Il a fallu tout recommencer ailleurs, dans une commune, où elle s’est sentie tout de suite en territoire ennemi, contrairement à Lyon où elle avait tous ses repères, toutes ses relations. La distance et le divorce lui ont fait perdre le côté rassurant d’être encore avec des personnes amicales et les dix années suivantes furent extrêmement dures pour elle.
Que de nuits où la peur du lendemain, la plongeait dans l’insomnie et parfois les larmes ! peur de ne pas y arriver ! peur qu’on lui enlève ses enfants pour les placer en foyer !
C’est à ce moment-là qu’elle a découvert « la gentillesse » des gens (ironie), ces personnes anonymes qui dénoncent autrui, infâmes cloportes masqués et mesquins dont certains vont à l’église tous les dimanche. Une femme seule n’a pas le droit d’être jolie, coquette et élégante aux yeux de certains, surtout dans les communes rurales car dans les grands villes, tout le monde se moque de l’apparence les autres. Dans leurs têtes, une mère célibataire doit forcément être moche, mal vêtue et sans attrait. C’était ainsi 30 ans en arrière et j’espère que les mentalités ont évolué depuis. Être victime de ces personnes ignobles, c’est justifier chaque acte de la vie, en plus de tous les aléas du quotidien. Celles qui ont vécu cela ne démentiront pas mes propos.
Un voisin marié peut tromper sa femme, tabasser ses gosses et les priver de nourriture, aucun risque, les services sociaux le laisseront tranquille jusqu’au jour où ce sera trop tard et que l’épouse ou les enfants seront tués (et réciproquement bien entendu). Les « faits divers » en sont la preuve chaque jour. Mais si vous êtres une jeune femme seule avec trois enfants, alors là, pas de souci, les services sociaux sont à votre porte. Il faut être irréprochable à leurs yeux. Tant mieux pour moi, et tant pis pour les calomniateurs, les enquêteurs sociaux diligentés ont constaté que tout était normal au sein du foyer monoparental. Je n’étais pas obligée de raconter ces faits, mais cela fait du bien de « tacler » au passage (même trente ans plus tard) tous ces bien-pensants dont le comportement était et sera toujours inadmissible.
Dix ans de galères, de petits boulots, de formations et enfin le CDI tant attendu qui lui ouvrait les portes d’un avenir financier plus serein et le droit de rencontrer enfin quelqu’un pour partager avec lui les années restantes, ce qui se réalisa. L’homme qu’elle épousa est toujours son compagnon de route, vingt ans plus tard.
Elle avait un peu plus de 40 ans, ses enfants avaient grandi, d’autres soucis l’attendaient qu’elle ignorait encore, qui lui ferait perdre petit à petit toutes ses illusions et sa santé en prime. Les vingt années suivantes ont défilé à vive allure, trop vive allure, et le miroir lui renvoya d’année en année, l’image d’une femme vieillissante, se dégradant physiquement, perdant la beauté de sa jeunesse, sa vitalité, sa joie de vivre et même parfois son envie de vivre tout simplement.
Elle revient dans le présent, elle est désormais retraitée, elle ne sera sans doute jamais grand-mère biologique, et son corps est « broyé » par deux pathologies invalidantes. Ses enfants sont toujours les « amours de sa vie » mais ils ont leur propre destinée à vivre, et même si elle n’est pas d’accord avec leur mode de fonctionnement, elle se tait car elle sait qu’elle n’a pas son mot à dire. Chacun fait le choix de sa propre existence. Chacun a son libre arbitre et comme on dit dans un langage populaire « comme on fait son lit, on se couche ». Elle sera toujours présente pour eux, jusqu’à son dernier souffle.
Certains jours, elle aimerait se coucher et ne plus se relever, pour dormir éternellement, car la société, telle qu’elle est en train de devenir, ne correspond plus aux valeurs de sa jeunesse, aux principes de sa conscience.
Ces dernières années, elle a essayé de penser un peu à elle en concrétisant quelques projets, publier des recueils de poésies, créer un site personnel pour diffuser ses articles (blog, rubrique généalogie, publication de ses poèmes), essayer d’apprendre le solfège et jouer du piano, (ce qui ne fut pas une réussite), tricoter des couvre-lits au crochet et surtout continuer la généalogie, activité ludique commencée en 2004.
Le fait de ne pas avoir été soutenue dans ses différents projets n’a fait que lui renvoyer l’image d’une femme et mère en situation d’échec, lui ôtant petit à petit, tout intérêt pour continuer une vie sans espoir dans l’avenir.
Les contraintes liées à la crise sanitaire depuis mars 2020, ont aggravé son dégoût de la société. L’isolement, la surveillance via un code barre (passe sanitaire), le fait que les familles se distendent, ne s’invitent plus, se voient moins souvent, le fait de ne pas aller au restaurant, de ne pas pouvoir enfin voyager puisqu’elle est retraitée, tous ces désagréments réunis ont accentué son malaise sociétal et familial et des pensées assombries la submergent beaucoup trop souvent désormais. Elle se dit que seul le silence de la mort lui apportera enfin la paix intérieure, mais elle se raccroche toujours à la vie comme à une bouée de sauvetage, car elle a la chance de conserver un mental d’acier en toutes circonstances, ce qui lui a permis de survivre, dans les différentes épreuves de son chemin de vie.
Elle a 62 ans, toutes ses belles années sont derrière elle. Elle n’a pas eu le temps d’en profiter et maintenant il est trop tard.
Si Dieu lui prête vie encore quelques années, elle aimerait enfin faire des voyages comme elle en rêvait, voilà plus de 40 ans, visiter les régions de France, notamment la Bretagne, aller en Irlande et en Ecosse, en Autriche, en Roumanie et pourquoi pas au Canada, dans le Grand Canyon ou en Nouvelle Zélande. Ce ne sont que des projets utopiques, mais au moins, cela lui donne un but pour se raccrocher encore une petit peu à l’espoir d’un lendemain favorable.
Par pudeur, j’écris rarement des textes personnels, privilégiant des articles abordant des thèmes différents, sociétaux ou généalogiques, mais ce 4 février, cela fait 35 ans que mon fils est décédé. La plaie ne s’est jamais vraiment refermée, et la nostalgie s’est emparée de moi toute la journée, d’où ce texte où je dévoile enfin mon ressenti sur ma propre vie. Que ceux que cela choque, ne lisent pas, mais crever cet abcès, parler de ce qui me ronge depuis tant d’années m’a fait du bien. Tout le monde a besoin un jour ou l’autre de dire ou d’écrire ce qu’il a sur le cœur ou ce qui le tourmente.
On peut aussi dire que c’est un témoignage sur un parcours de vie, où d’autres personnes peuvent retrouver des similitudes.
La morale est qu’avec la volonté, on se sort toujours de toutes les situations et qu’il faut continuer d’avancer jour après jour, jusqu’à l’instant final de la rencontre ultime et des retrouvailles avec tous ceux que l’on a croisés et aimés, au cours de notre vie terrestre.
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Tous droits réservés le 4 février 2022
Viviane Brosse alias Sherry-Yanne
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Publié sur mon site personnel le même jour
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