INSTANTANÉ DE VIE 15 SEPTEMBRE 2021
En ce jour pluvieux du 15 septembre 2021, assise sur ma terrasse, je laisse mon regard errer au loin. J’aperçois le village regroupé autour de son église. Le clocher de celle-ci pointe sa flèche vers le ciel, gardien éternel, veillant sur des maisons sans doute centenaires. En retrait du bourg, la chapelle du Pinay domine les alentours. Elle est orientée face au village, protégée par les trois croix figées dans le temps représentant la scène du Golgotha (Jésus Christ et les deux larrons crucifiés en même temps que lui).
Le ciel est gris, presque noir, car l’orage n’est pas loin. Le vent s’est levé et je frissonne. Habiter un lieu-dit « Montsibert » ne peut qu’être venteux puisqu’en patois local, « sibert » signifie vent.
Je vis comme mes ancêtres saint-romanaires au « mont venteux ».
Mes pensées s’égarent et je contemple avec nostalgie, le toit de la maison située en dessous de la mienne. Cette vielle « baraque » fut celle de mes grands-parents et arrière-grands-parents paternels. Elle fait partie de la famille patronymique de ma grand-mère paternelle depuis l’époque d’Henri IV et elle a environ 500 ans. C’est une vieille dame fatiguée par l’usure du temps mais toujours solide sur ses murs. Elle aurait tant de choses à raconter, des siècles d’histoire familiale, des naissances aux décès, en passant par les mariages. Des générations ont laissé leur empreinte dans ces lieux.
La pluie tombe violemment et je l’entends s’écraser sur la terre et sur les murs de ma demeure. Quelques gouttes poussées par le vent, me parviennent mais je reste assise, sans bouger, observant le paysage devenu brumeux, une brume qui monte de la vallée, recouvrant petit à petit la chapelle puis le village. J’entends le tonnerre gronder, d’abord dans un son lointain puis se rapprochant de plus en plus.
Je me sens tellement bien dans ce havre de paix où je suis revenue vivre à l’âge de 50 ans. Fuir la ville, la pollution sonore et olfactive, l’agitation des rues, le vacarme quotidien, les incivilités constantes, la violence progressive, a été pour moi, une renaissance.
De caractère sociable mais solitaire, je profite désormais de ma retraite, entourée de mon époux et de nos animaux. Je ne recherche pas la compagnie et je n’attends plus rien de la vie. Je me ressource loin d’une société qui ne correspond plus à mes idéaux de jeunesse.
Je vis sur la terre de certains de mes ancêtres et je sais que je vais y mourir aussi. Comme mes prédécesseurs, je reposerai dans le cimetière aux croix blanches, que l’on aperçoit de ma maison.
Il pleut toujours mais la brume s’est évaporée, dévoilant de nouveau le village et la chapelle.
Il pleut, il tonne. L’eau s’infiltre dans le sol qui la reçoit comme une bénédiction venue des cieux. La brume est réapparue, enveloppant le paysage de son voile gris.
Il fait très sombre, pourtant il n’est que 17 heures.
L’orage s’intensifie, les éclairs parsèment le ciel en colère, le tonnerre s’emporte violemment et je n’ai pas d’autre choix que de me mettre à l’abri à l’intérieur.
Cela fait déjà 11 ans que nous avons posé nos valises ici.
La maison a été construite dans un pré appartenant autrefois à mes grands-parents. Mon grand-père y emmenait paître ses brebis et ma grand-mère ramassait du serpolet sur un des rochers plats qui n’existent plus depuis. Il y avait plein de genêts d’or. Lointain souvenir pour moi puisque mes grands-parents sont décédés depuis plus de 30 ans.
Je laisse mon esprit vagabonder dans le passé.
Entre-temps l’orage a cessé, le brouillard s’est évanoui, la pluie tombe doucement. Tout est de nouveau paisible et calme.
J’ai bientôt 62 ans et mes années sont comptées comme pour tout vivant. Celui qui nait est déjà un mort en puissance.
Je n’espère plus rien de la vie, je n’attends plus rien de l’être humain, et je me replie de plus en plus sur moi-même pour me protéger d’un monde qui me fait peur, par son individualisme, sa violence, son injustice, la perte de ses repères et de ses valeurs, qu’elles soient sociales, familiales, professionnelles, ou patriotiques.
La pluie tombe doucement, le ciel s’obscurcit et j’oublie le temps, les yeux rivés sur ma feuille à carreaux.
Il se fait tard.
Dehors un bel arc-en-ciel émerge, symbole du retour au calme après la tempête.
Il est temps de refermer cette page et de réintégrer la réalité du présent, dans l’horloge du temps.
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Viviane B-Brosse 15 septembre 2021
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Publié sur mon site Sherry-Yanne en Poésies (ou les Écrits de Sherry-Yanne) le même jour